Santé et environnement
La politique des retraites, un levier pour l’écologie ?
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Alors que la réforme des retraites et celle de la transition écologique sont abordées par le gouvernement français comme deux dossiers distincts, ils pourraient être plus liés qu’il n’y paraît. Les économistes Armel Ngami et Thomas Seegmuller s’intéressent à l’effet d’un système de retraite par répartition, en prenant en compte l’évolution du capital, celle de la pollution, ainsi que l'efficacité des politiques de santé et environnementales.
Après une année marquée par le spectre des pénuries et la sécheresse, en 2023, le gouvernement français entend mener de front la réforme des retraites et celle de la grande planification écologique. Pourtant, retraites et lutte contre la pollution pourraient être plus liées qu’il n’y paraît. Les économistes Armel Ngami et Thomas Seegmuller démontrent comment les systèmes de retraite publics pourraient affecter l’évolution du capital et de la pollution ainsi que l’efficacité des politiques de santé et environnementales.
Croissance, santé et pollution, trio infernal
Un lien entre l’état de santé des individus et le développement économique existe. Un travailleur en bonne santé sera moins souvent en congé maladie et plus performant, ce qui va dans le sens de la croissance économique. De même, la promesse d’une vie en bonne santé et par conséquent plus longue, rend les individus plus susceptibles d’accumuler des connaissances et des compétences, car ils espèrent vivre assez longtemps pour profiter des bénéfices futurs de leurs investissements. Par conséquent, en stimulant l’accumulation de capital humain1, l’accroissement de la longévité favorise le développement économique.
Cela pourrait justifier la tendance à la hausse des dépenses de santé observée dans les pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). De 2,5 % en 1970, elles représentent 6 % du PIB en moyenne en 20102, et pourraient atteindre 9,5 % en 20603. D’autre part, la croissance économique est associée à davantage de recettes fiscales pour le gouvernement, ce qui implique plus de fonds pour construire des établissements de santé, financer la recherche médicale et, en général, de meilleurs services de santé. Par conséquent, une longévité plus élevée et le développement économique se renforcent mutuellement.
- 1Le capital humain peut être défini comme l’ensemble des capacités productives qu'un individu acquiert par accumulation de connaissances générales ou spécifiques, de savoir-faire, etc.
- 2Marino, A., Morgan, D., Lorenzoni, L., & James, C. (2017). Future trends in health care expenditure : A modelling framework for cross-country forecasts. OCDE.
- 3de la Maisonneuve, C., & Oliveira Martins, J. (2013). A Projection Method for Public Health and Long-Term Care Expenditures (SSRN Scholarly Paper Nᵒ 2291541).
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Cependant, le développement économique s’accompagne d’activités humaines, génératrices de déchets qui peuvent être nocifs pour la santé. La pollution était responsable d’un décès sur six dans le monde en 20154, soit 9 millions de morts prématurées sur cette période. C’est trois fois plus que le nombre de décès attribués au sida, à la tuberculose et au paludisme réunis.
La croissance économique chinoise du début de ce siècle est une autre illustration de cet effet nocif puisqu’elle est marquée par une amélioration modeste de l’espérance de vie, comparée aux gains de longévité des pays voisins, en raison de la dégradation de l’environnement5. Durant cette période, une augmentation de 100 μg/m3 de la concentration de particules dans l’air a été associée à une baisse d’une année et demie de l’espérance de vie à la naissance.
Le cas chinois avait permis à Natacha Raffin et Thomas Seegmuller d’étudier le lien entre croissance, pollution et longévité. Dans un monde plus pollué, les gens vivront moins longtemps. S’ils anticipent de vivre moins longtemps, cela va avoir un impact négatif sur le comportement d’épargne. Cela peut avoir des conséquences au niveau macroéconomique : s’il y a moins d’épargne, il y a moins d’argent disponible pour investir dans du capital physique et donc dans la production. Face à cette situation, ils analysent également l’efficacité d’investissements dans des politiques de santé, considérées comme curatives, ou des politiques de lutte contre la pollution plutôt préventives. Leurs conclusions démontrent que dans une économie développée, il semble plus opportun d’investir dans des politiques environnementales et de prévention, plutôt que dans des politiques de santé.
Dans cette nouvelle étude, les économistes Armel Ngami et Thomas Seegmuller s’intéressent cette fois aux effets de la retraite par répartition. Par leur fonctionnement, on cotise en direct pour financer les retraites du présent, elles ont un effet désincitatif sur l’épargne et ne favorisent pas la croissance. Avec ce mécanisme supplémentaire, faut-il privilégier les politiques de santé ou de réduction de la pollution ?
- 4Lundberg, O., Yngwe, M. A., Stjärne, M. K., Elstad, J. I., Ferrarini, T., Kangas, O., Norström, T., Palme, J., Fritzell, J., & NEWS Nordic Expert Group. (2008). The role of welfare state principles and generosity in social policy programmes for public health : An international comparative study. Lancet (London, England), 372(9650), 1633‑1640.
- 5Evans, M. F., & Smith, V. K. (2005). Do new health conditions support mortality–air pollution effects ? Journal of Environmental Economics and Management, 50(3), 496-518.
Les retraites par répartition, un poids pour les politiques environnementales ?
Les systèmes de retraites par répartition sont régulièrement remis en cause sur leur financement et par leurs impacts sur le PIB. Dans le cas français, la principale inquiétude vient du vieillissement de la population, qui déséquilibrerait irrémédiablement le financement du système. Les chiffres indiquent effectivement une pyramide des âges qui change de forme : on comptait 5 actifs pour 1 retraité dans les années 1950, ils ne seront plus que 2 pour 1 en 2040. La longévité a, elle aussi, augmenté et avec elle, le temps passé à la retraite : de 15 ans en 1950, on y passe aujourd’hui 26 ans en moyenne. Or, le Conseil d’Orientation des Retraites note certes une dégradation de la situation, mais sans réel « danger financier »6. Selon l’organisme, jusqu’en 2027, les dépenses de retraites seraient relativement stables, passant de 13,8 % en 2021 à 13,9 % du PIB à la fin du quinquennat. Si le financement n’est finalement pas le principal enjeu, le système de retraite pourrait avoir un autre impact plus surprenant, sur l’efficacité des politiques environnementales et sanitaires.
- 6Marino, A., Morgan, D., Lorenzoni, L., & James, C. (2017). Future trends in health care expenditure : A modelling framework for cross-country forecasts. OCDE.
Les chercheurs ont en effet examiné l’efficacité des politiques de santé vis-à-vis des politiques environnementales selon le niveau de retraite par répartition. D’après leurs précédents travaux, le volet préventif, c’est-à-dire les politiques de lutte contre la pollution, sont à privilégier dans les pays développés si le niveau de répartition des retraites est faible : dans ce cas, si les dépenses environnementales augmentent par rapport aux dépenses de santé, on va vers un état de long terme plus favorable en termes de croissance par rapport à la pollution.
Mais au-dessus d’un certain seuil du niveau de retraite par répartition, les dépenses de santé, curatives, semblent alors à privilégier. Si les dépenses environnementales augmentent par rapport aux dépenses de santé, on a l’effet inverse : un état moins favorable à long terme pour une économie déjà développée, et une situation dégradée pour une économie peu développée. En d’autres termes, si l’on a déjà une redistribution importante à travers un système de santé, la politique environnementale est moins efficace selon le modèle des chercheurs. Ce qui peut étonner, c’est que dans une économie qui est déjà développée et un système de protection sociale déjà élevé, avoir une politique environnementale plus prononcée ne serait pas forcément favorable. Il va falloir faire un choix.
Un risque de conflit générationnel
Au contraire d’un système par répartition, des retraites par capitalisation n’auraient pas beaucoup de répercussions sur l’épargne globale et la formation de capital. C’est une sorte d’épargne forcée qui va sur les marchés financiers, et ce seraient alors les politiques de lutte contre la pollution qui prévaudraient sur les politiques de santé.
Le sondage CSA pour le JDD de septembre 20227 sur les préoccupations des Français indique autre chose : il y a de grandes disparités suivant les générations : le thème de l’environnement suscite des inquiétudes chez 36 % des 25-34 ans, mais seulement chez 18 % des 65 ans ou plus. Cet écart pourrait, selon la thèse d’Armel Ngami et Thomas Seegmuller, être accentué par le choix d’un système de retraite ou un autre. Si la génération des 25-34 ans est encore loin de la retraite, elle pourrait préférer un système qui sécurise son pécule et être plus favorable aux politiques environnementales interventionnistes : un système par capitalisation, qui favorise l’épargne et à travers elle, la croissance et les politiques environnementales qui en découlent. A contrario, les générations plus âgées pourraient souhaiter conserver un système par répartition le plus longtemps possible dans lequel les dépenses de santé seraient prioritaires sur celles liées à l’environnement.
- 7Réchauffement climatique : Les fonds de pension toujours mauvais élèves. (2018, octobre 23). Les Echos
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Si les jeunes peuvent éventuellement voir dans un système allant vers plus de capitalisation, un système plus bénéfique pour eux et l’environnement, des efforts devront encore être faits du côté des acteurs financiers pour démultiplier l’efficacité des politiques environnementales : en 2018, les 100 plus grands fonds de pension publics investissaient moins de 1 % de leurs actifs dans la transition bas-carbone, et à peine 10 % des fonds avaient aligné leurs objectifs sur l’Accord de Paris.