Comment raviver la flamme entre écologie et économie ?
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Dans un monde où le changement climatique est un sujet brûlant, il faut des États peu frileux pour mettre en place des politiques environnementales ambitieuses. Pourtant le coût de ces politiques refroidit les États dont la dette publique s’est enflammée depuis la crise de 2008. Dans ce contexte, comment conjuguer économie et écologie ? C’est à cette question que s’intéressent les économistes Mouez Fodha, Thomas Seegmuller et Hiroaki Yamagami.
En 2015, la COP21 à Paris fixe des objectifs pour limiter le réchauffement climatique à 2°C voire 1,5°C. En octobre 2018, le rapport du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Changement Climatique (GIEC) rappelle l’urgence et l’amplitude des mesures à prendre pour atteindre ce but. En 2019, Greta Thunberg, militante écologiste, est élue personnalité de l’année selon le Time Magazine1. En 2020, l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE) publie une analyse sur les effets de la taxe carbone sur les entreprises françaises2. Ce dernier rapport s’inscrit dans le lien entre économie et écologie : une des solutions des économistes pour réduire les gaz à effet de serre est la taxe carbone.
Cette taxe est évoquée pour la première fois dans les accords de Kyoto en 19973, elle entre assez tardivement, en 2014, dans la législation française. Elle s’y présente sous la forme d’une composante carbone et non pas d’une taxe à part entière, qui touche les taxes intérieures de consommation. L’idée est simple : on donne un prix aux émissions de carbone que l’on mesure en tonne de CO2. Cette taxe doit augmenter chaque année pour à terme encourager la diminution de la production de CO2. Le prix de la tonne est passé de 7 euros en 2014 en France à 44,60 euros en 2018.
- 1https://time.com/person-of-the-year-2019-greta-thunberg/
- 2Dussaux, D. (2020), « Les effets conjugués des prix de l’énergie et de la taxe carbone sur la performance économique et environnementale des entreprises françaises du secteur manufacturier », OCDE, n° 154, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/b8ca827a-fr
- 3 https://www.vie-publique.fr/rapport/271060-la-fiscalite-environnementale-au-defi-de-lurgence-climatique
La « taxe carbone » a beaucoup fait parler d’elle en France puisqu’elle est à l’origine du mouvement des gilets jaunes. Ce mouvement social a commencé suite à l’augmentation tangible du prix de l’essence. En effet, la taxe carbone augmente dans le temps. Elle était jusque là passée inaperçue, car compensée par le bas prix du baril de pétrole. En réponse au mouvement social, le gouvernement a choisi de ne pas augmenter cette « taxe carbone » en 2019. Mouez Fodha, Thomas Seegmuller et Hiroaki Yamagami expliquent que c’est là un des grands problèmes de toutes les fiscalités vertes (taxes et impôts à visée environnementale). Elles ont un coût immédiat très important faisant flamber les dépenses au moment de leur application. Nos modes de vie changeant lentement vers des pratiques plus écologiques, il faut du temps pour que ces coûts s’atténuent. Ajoutons à cela que les effets de ces politiques s’observent seulement sur le long terme et on comprend pourquoi l’écologie ne fait pas bon ménage avec l’économie.
Écologie et économie : irréconciliables ?
C’est la question que se sont posés Mouez Fodha et Thomas Seegmuller dans une série d’articles qui explorent les liens entre fiscalités vertes et dette publique. Dans un article de 2018 rédigé avec Hiroaki Yamagami, ils montrent, à travers une analyse théorique, qu’il est possible de combiner à la fois une politique fiscale environnementale et une croissance économique.
Dans leur article, les trois chercheurs s’interrogent sur la possibilité de mettre une place une taxe environnementale sur la production, semblable à la taxe carbone actuelle sur la consommation. Cette taxe aurait deux objectifs précis : améliorer la qualité de l’environnement et augmenter la consommation.
Le modèle de l’article est proche de notre réalité. L’Etat y réalise des politiques publiques financées par deux moyens : les taxes et impôts que l’Etat perçoit et la dette publique. Par exemple, la « taxe carbone » a rapporté à l’Etat français 6,4 milliards d’euros en 2017.
Dans le modèle on représente la qualité de l’environnement comme un capital, c’est à dire quelque chose pouvant s’accumuler, une sorte de réserve d’environnement non polluée qui peut être augmentée par des politiques publiques. La « taxe carbone » par exemple a permis une diminution de 5% des émissions de CO2 en France en 2018 d’après l’OCDE4, on peut donc dire qu’elle a augmenté le stock de qualité de l’environnement.
- 4Dussaux, 2020
Taxer plus pour taxer moins
Augmenter la qualité de l’environnement passerait par deux actions de l’Etat : des politiques publiques écologiques améliorant fortement la qualité de l’environnement et une taxe environnementale sur les activités produisant de la pollution. L’Etat taxe aussi les ménages sur les revenus du travail. La nouvelle taxe verte rapporte beaucoup plus que la taxe sur les revenus, on dit qu’elle touche une plus grande assiette : les entreprises par exemple vont la payer alors qu’elles n’étaient pas concernées par la taxe sur le revenu. Ces nouveaux revenus de l’État lui permettrait de baisser la taxe sur les revenus et par conséquent d’augmenter le pouvoir d’achat des ménages.
Alternativement, si la consommation augmente comme c’est le cas dans le modèle, l’État pourrait choisir de ne pas réduire la taxe sur les revenus des ménages, mais d’utiliser les revenus de la nouvelle taxe environnementale pour réduire la dette publique. La réduction de la dette publique est un investissement à long terme. C’est actuellement un des enjeux des politiques économiques : la réduire grâce à des fiscalités vertes est un argument de poids en leur faveur.
Dans les deux cas, le pari est gagné : on a réussi à mettre en place une taxe environnementale et à augmenter à la fois la qualité de l’environnement et la qualité de l’économie.
Retour à la réalité
Si ce modèle est optimiste sur la possibilité de politiques fiscales vertes de grande ampleur, il est plus facile de théoriser que d’appliquer.
Le modèle, bien que proche de notre monde, repose sur des politiques publiques très efficaces pour améliorer la qualité de l’environnement. Or il est difficile de juger de la qualité des politiques publiques en la matière, surtout que dans les faits ce n’est pas la seule politique des gouvernements.
Enfin, l’actualité politique montre que la levée de taxes environnementales ne doit pas se faire au détriment de considérations sociales. Il faut que ces taxes s’intègrent dans un projet cohérent pour que le coût de la politique n’accable pas seulement les ménages. La « taxe carbone » française, étant seulement une composante carbone, elle est sujette à de nombreuses exonérations comme les transports aériens intérieurs ou le gazole non-routier5 ce qui la rend facilement critiquable et lui laisse une grande marge d’amélioration.
Si le chemin est encore long avant d’atteindre les objectifs climatiques de la COP21, Mouez Fodha, Thomas Seegmuller et Hiroaki Yamagami montrent une chose : il est parfois possible d’avoir à la fois des politiques environnementales ambitieuses et une économie florissante.
- 5https://www.i4ce.org/wp-core/wp-content/uploads/2018/10/Contribution-Climat-Energie-en-France_VF4.pdf