Etudiants : Prêts ? Partez ! Les bulles spéculatives, partie II
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Aux États-Unis, la dette étudiante s’envole et les jeunes trainent des intérêts toujours plus lourds : ils entreraient sur le marché du travail avec des dettes s’élevant souvent à quelque 100 000 dollars. Pourtant, en théorie, investir dans le capital humain des étudiants c’est investir dans un capital productif. C’est ce que montrent les économistes Xavier Raurich et Thomas Seegmuller qui étudient les bulles bénéfiques à la croissance, car utilisées à des fins éducatives.
Les bulles spéculatives gonflent la croissance. Dans les années 2000, ce constat empirique anime de nombreux débats chez les économistes. Pour expliquer le phénomène, Xavier Raurich et Thomas Seegmuller proposent une série d’articles sur ces bulles productives dans lesquels ils étudient les individus au cours de trois périodes de leur vie : la jeunesse, l’âge adulte et la retraite. Un de ces articles s’attarde sur le lien entre les bulles spéculatives, les prêts étudiants et le nombre d’enfants qu’auront les individus.
Etudier à bonne école
En France, il peut paraître absurde d’emprunter pour payer ses études. À part quelques écoles privées ou de commerce où une année peut couter jusqu’à 20 000€, l’éducation supérieure assurée par les universités ou les classes préparatoires est (presque) gratuite.1 Aux Etats-Unis, en revanche, les prêts étudiants sont monnaie courante.
- 1Ici seuls les frais de scolarité sont comptés. Il est évident que le logement et les besoins primaires peuvent constituer des frais importants.
En effet, les frais de scolarité n’ont cessé d’y augmenter, prenant 150 % en moyenne depuis les années 2000. Ils atteignent des sommes faramineuses, notamment pour les universités les plus prestigieuses. Ainsi, si vous planifiez d’étudier à Harvard, prévoyez la modique somme de 80 000 dollars par an.2 Peu surprenant donc, que la dette des étudiants américains se soit envolée. Elle dépasse aujourd’hui les 1 600 milliards de dollars.3 Alors qu’au sortir de leurs études, les étudiants sont de plus en en plus endettés et par conséquent dans des situations de plus en plus précaires. Les défauts de paiements se multiplient et les intérêts gonflent. La dette étudiante est ainsi considérée par certains comme la prochaine bulle financière.4
- 2Bonne nouvelle : pour ce prix-là, le logement et les dépenses courantes sont comprises. Prix issu d’une simulation réalisée sur https://college.harvard.edu/
- 3Board of Governors of the Federal Reserve System (US), Student Loans Owned and Securitized, Outstanding [SLOAS], retrieved from FRED, Federal Reserve Bank of St. Louis; https://fred.stlouisfed.org/series/SLOAS, July 7, 2020.
- 4Frédéric Autran, "Crise de la dette étudiante, la grosse bulle qui monte", Libération, 19 septembre 2016, p5
Produire ou se reproduire ?
Aux États-Unis, comme dans le modèle des auteurs, étudier est un investissement. Les jeunes peuvent investir dans leurs études ce qui, dans le modèle, leur permet d’obtenir un travail mieux rémunéré et donc d’augmenter leur capital humain (constitué de leur savoir, connaissances et compétences). Cette augmentation du capital humain entraine une augmentation de la production puisque les employés sont plus qualifiés. Cela stimule la croissance.5 Dans le cas où une bulle, c'est-à-dire des actifs dont le prix est supérieur à leur valeur sur le marché, est présente, elle permet un investissement accru dans les études : les jeunes empruntent de l’argent qu’ils rembourseront quand ils seront adultes.
- 5La croissance est définie comme une augmentation du PIB (Produit Intérieur Brut) d’une année sur l’autre, le PIB étant un indicateur de la production de richesses des agents économiques d’un territoire. L’hégémonie de cet indicateur en économie est remise en question.
Mais, comme le film Idiocracy (2006) le montre de manière plutôt extrême, plus les personnes sont diplômées, moins elles ont d’enfants. Cela est vérifié : en France, selon l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques), en 2008, le nombre moyen d’enfants pour les femmes non diplômées était de 2,5 contre 1,8 pour celles ayant un niveau d’étude supérieur au baccalauréat. Economiquement cela s’explique par une conception utilitariste de la parentalité.
En effet, chaque jeune décide d’avoir ou non des enfants à l’âge adulte. Si oui, il choisit combien d’enfant(s), selon ses préférences mais aussi selon des considérations financières et d’éducation. En utilisant la bulle pour un emprunt étudiant, les jeunes auront un emploi mieux payé et boosteront la croissance ! Cependant, avoir un salaire plus élevé signifie un coût d’opportunité d’avoir des enfants plus haut : le temps de travail d’une personne gagnant un haut salaire vaut davantage que le temps de travail d’une personne gagnant un salaire bas. Par conséquent, éduquer son enfant coûte plus cher aux personnes ayant fait des études. Ainsi, les jeunes qui décident de faire des études, choisissent aussi d’avoir moins d’enfants. À l’inverse, si les jeunes décident de moins étudier, le coût d’un seul enfant sera moins élevé et ils auront tendance à en faire plus.
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Baby-Boom
À l’âge adulte, le temps passé à éduquer ses enfants est considéré comme étant déduit du salaire. Les jeunes ayant prévu d’avoir beaucoup d’enfants ont donc intérêt à épargner, plutôt qu’à investir dans leurs études, ce qui réduit la croissance. C’est notamment le cas dans un modèle sans bulle où les jeunes n’ont pas la possibilité d’emprunter pour faire de longues études. Dans le modèle avec bulles, les jeunes vont avoir tendance à prioriser leur éducation par rapport au fait d’avoir une famille nombreuse. Une fois à la retraite, les individus pourront profiter, dans le cas d’une bulle, de revenus supplémentaires sous forme d’épargne. S’ils ont eu moins d’enfants, la valeur des actifs de la bulle seront, en outre, plus élevés car il y aura moins de personnes âgées.
Cet équilibre menant à une croissance positive souffre d’un seul problème : il dépend de l’existence de la bulle. Or, les bulles éclatent, ce qui entraîne un changement d’état souvent brutal et néfaste pour les agents économiques. De plus, dans la réalité, les défauts de paiement des prêts étudiants sont de plus en plus communs, atteignant 27,2% douze ans après le prêt en 2015 contre 18,1% huit ans plus tôt.6 Alors que la situation américaine est de plus en plus problématique, les étudiants peuvent au moins considérer que, si les bulles s’envolent, les diplômes restent.
- 62017, "Repayment of Student Loans as of 2015 Among 1995–96 and 2003–04 First-Time Beginning Students", National Center for Education Statistics, US Department of education, https://nces.ed.gov/pubs2018/2018410.pdf