Santé et environnement

Quand les poissons ont la surpêche : quelles solutions pour règlementer ?

Photo by Pietro Caspani on Unsplash

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Afin de maintenir la biodiversité marine, mieux vaut se jeter à l’eau avec des réglementations de la pêche que de ne rien faire du tout. Mais pour ne pas aller à vau-l’eau, il est important de prendre en compte les relations biologiques entre les espèces. C’est ce que montrent les économistes Nicolas Quérou et Agnes Tomini en étudiant les effets de régulations de la pêche dans des situations non optimales.

Par Agnes Tomini

Agnes Tomini

Auteur scientifique, CNRS, AMSE

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Aurore Basiuk

Aurore Basiuk

Journaliste scientifique

Depuis 1970, les populations d'animaux marins ont été divisées par deux1. La pollution, le changement climatique, la destruction des fonds marins et la surpêche sont les principaux facteurs expliquant cette plongée. 

En 2013, on estimait à près de 33%, les espèces marines commercialisées en proie à la surpêche, c’est-à-dire étant plus pêchées que la capacité de l’environnement à renouveler les stocks (poissons que l’on peut pêcher dans une zone géographique donnée)2. La surpêche peut mener à des effondrements brutaux des stocks de poissons impactant directement les pêcheurs qui perdent leur source de revenus. Ainsi au Sénégal où le poisson constitue 75% des apports protéiques de la population, la surpêche pratiquée au large par les européens et les asiatiques poussent les pêcheurs locaux à aller toujours plus loin des côtes quitte à se mettre en danger. S’il n’y a pas de compte officiel, des dizaines de morts sont rapportées chaque année3. Une bonne gestion de la pêche est donc primordiale à la fois pour exploiter durablement  les ressources sur le long termes mais aussi pour les raisons économiques, sociales et humaines.

  • 1https://www.zsl.org/science/news/crisis-in-global-oceans-as-populations-of-marine-species-halve-since-1970
  • 2FAO (Organisation des Nations Unies pour la Nourriture et l’Agriculture)
  • 3https://www.bbc.com/news/world-africa-46017359

Règlementer la pêche, un coup d’épée dans l’eau ?

Le principe de liberté de la mer domine une grande partie des océans. Les ressources halieutiques (qui concernent la pêche) ont été considérées comme inépuisables jusque dans les années cinquante et n’étaient donc pas réglementées. La première convention internationale sur les droits de la mer date de 1982 et détermine des Zones Economiques Exclusives (ZEE) qui appartiennent aux Etats côtiers et s’étendent jusqu’à 200 miles marins (370km) des côtes. Les ZEE sont soumises aux législations nationales en matière de pêche. Hors de ces zones, les eaux sont dites internationales ou de haute mer. La pêche n’y est pas encore règlementée à ce jour, outre quelques pratiques interdites comme celles de la pêche à la dynamite ou au cyanure. 

Même dans les ZEE, réglementer la pêche ne coule pas de source. La pêche illégale représente entre 12% et 28% des prises mondiales et il est parfois difficile pour les états de la contrôler. Le manque de moyens ou des crises politiques peuvent ouvrir les vannes à une présence de pêche illicite pouvant avoir des conséquences graves en termes environnementaux, sociaux ou humains. Un autre problème est le manque de données précises sur l’état des stocks d’une part et les relations éco-systémiques d’autre part. Enfin, la question de l’acceptabilité des mesures se pose. Si une partie des pêcheurs est favorable à une meilleure gestion des stocks de poissons pour assurer une exploitation durable des ressources dans le temps, ce n’est pas le cas de tous.

Dans cette situation, la solution qui permettrait de pêcher ad vitam aeternam et d’optimiser son profit permettrait une situation optimale que nos connaissances actuelles ne nous permettent pas d’atteindre. Cela veut-il dire que rien ne peut ou ne doit être fait ? Pas forcément. En étudiant les effets de différentes régulations sur les écosystèmes marins tout en prenant en compte la fluctuation des stocks de poissons selon les relations entre espèces, Nicolas Quérou et Agnes Tomini montrent deux choses. D’une part, le fait de taxer la pêche d’une espèce n’entraîne pas toujours une augmentation de la pêche d’autres espèces et d’autre part, avec des régulations partielles de la pêche, il est possible de s’approcher de cette situation optimale.

Regarder la mer avec les pieds sur Terre

Leur étude explore les effets de la régulation de la pêche de deux espèces de poissons ayant trois types d’interactions biologiques : la prédation, la compétition et le mutualisme. Ces interactions ont un impact à la fois sur le stock de poisson avant toute régulation et sur le stock de poissons après la modification des pratiques de pêches.

Pour connaître l’effet des régulations de la pêche, les auteurs étudient un pêcheur qui choisit un niveau d’effort de pêche global (la technologie avec laquelle il va pêcher les poissons : bateau, filet, etc.) qu’il répartit entre les deux espèces. Deux réglementations différentes de la pêche sont étudiées : une taxe sur l’effort de capture d’une espèce spécifique et une taxe sur l’effort global de pêche. Les deux réglementations sont comparées à la pêche en libre accès et à la situation optimale. Elles ont deux effets : un sur l’activité du pêcheur et un sur les stocks de poissons, mais ces effets sont interdépendants.

On pense souvent qu’en régulant la pêche d’une seule espèce, le pêcheur va reporter son effort sur l’autre espèce. L’article montre que ce n’est pas forcément le cas. Par exemple, si les espèces sont en compétition pour les ressources du milieu, le fait de taxer la pêche d’une des deux espèces ne va pas se traduire par un effort accru à pêcher l’autre. Dans ce cas, c’est la pêche des deux espèces qui va diminuer. L’explication est simple : si la première espèce est moins pêchée en raison de la taxe, alors le nombre de poissons de cette espèce va augmenter. Or, comme elle est en compétition avec la seconde espèce, le nombre de poissons de la deuxième espèce va diminuer et donc l’effort alloué à sa pêche va baisser. Dans ce cas précis, la taxe aura réduit la pêche de deux espèces différentes. 

Vers une gestion verte des ressources bleues ?

Le tableau ci-dessus présente différents cas. Par exemple celui de deux espèces dont l’une mange l’autre, comme la morue et le capelan. Si on taxe le capelan (la proie), le pêcheur en pêchera moins, il y aura donc plus de capelans. La morue va donc avoir plus de proies, ce qui va augmenter le stock de morues. Il sera plus facile pour le pêcheur de pêcher de la morue, la pêche à la morue va augmenter. Ce résultat permet de se rapprocher de la situation optimale et d’augmenter les stocks d’une des espèces : c’est le cas pour tous les effets des régulations de la pêche par rapport à la pêche en libre accès. 

Lorsque la taxe est sur l’effort global de la pêche, au-delà des considérations biologiques, des considérations économiques entrent en jeu. En effet, si on a une taxe sur le nombre de poissons qu’on pêche (qui limite donc ce nombre), il est plus rentable de pêcher le poisson avec la plus grande valeur marchande. Ainsi, l’effort de pêche va vers l’espèce la plus chère, surtout si réduire la pêche à l’espèce moins chère aide l’espèce la plus rentable (relation de mutualisme ou de prédation) comme c’est le cas pour la morue et le capelan. 

Ces résultats montrent que la même gestion de pêche peut avoir des effets très différents selon les relations éco-systémiques des espèces touchées, mais qu’il est toujours préférable d’avoir une pêche réglementée face à une pêche en libre accès. En outre, taxer la pêche d’une espèce spécifique n’entraine pas toujours un effort de pêche plus important sur les autres espèces selon les relations biologiques entre les espèces. Depuis 2018, des mesures internationales de réglementation de la pêche en haute mer sont en discussion à l’ONU. Il est donc intéressant de savoir que même avec des connaissances imparfaites, les réglementations de la pêche permettent d’approcher la situation optimale. 

Références

Quérou N., Tomini A., 2018, « Marine ecosystem considerations and second-best management », Environmental & Resource Economics, 70 (2), 381-401

Mots clés

écologie , gestion

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