Justice sociale

Quand le stress améliore les capacités cognitives

Photo par Niklas Hamann sur Unsplash

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Le stress est souvent perçu comme un frein, mais une étude menée par des économistes montre qu’il peut, dans certains cas, stimuler les performances. Des étudiants exposés à des sujets angoissants, comme le chômage ou les conséquences de la pandémie en termes de santé mentale, réagissent en augmentant leur concentration et leurs performances.

Par Timothée Demont

Timothée Demont

Auteur scientifique, AMU, AMSE

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Timothée Vinchon

Timothée Vinchon

Journaliste scientifique

Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et de l’Organisation internationale du travail (OIT), la dépression et l’anxiété liées au travail entraînent la perte de 12 milliards de journées de travail par an, coûtant près de 1 000 milliards de dollars à l’économie mondiale. Cela souligne l’impact massif des troubles mentaux et la nécessité d’agir. Paradoxalement, les chercheurs en économie Timothée Demont, Daniela Horta Sáenz et Eva Raiber montrent que selon le contexte, que le stress peut devenir un moteur de performance, transformant les situations stressantes en défis à relever. Par exemple, l’inquiétude liée à la précarité de l’emploi ou la prise de conscience de l’urgence écologique peuvent parfois avoir un effet bénéfique si un objectif clair et atteignable est introduit, un peu à l’image d’un acteur pétri de trac avant de monter sur scène sur le point de proposer sa plus belle prestation. Cependant, tous ne réagissent pas de la même manière face au stress, et les écarts de performance peuvent même se creuser en fonction du profil socio-économique. 

La « tunnelisation positive »

La plupart des études antérieures sur l’effet du stress sur les performances cognitives montraient une diminution des capacités face à la rareté des ressources. Par exemple, les économistes Mani, Mullainathan, Shafir et Zao, spécialisés en économie comportementale, expliquent que le manque d’argent ou de temps handicape la prise de décision efficace. Cela a été observé notamment chez des agriculteurs du Tamil Nadu, en Inde, où la pauvreté crée une charge cognitive qui sape l’attention et réduit la performance.1

  • 1

    Mani, A., Mullainathan, S., Shafir, E. & Zhao, J. Poverty impedes cognitive function. Science 341, 976–980 (2013). Cet effet a été montré dans d’autres contextes par la suite, y compris chez des travailleurs pauvres aux États-Unis.

Homme affichant une certaine angoisse regardant son ordinateur

Photo par Wes Hicks sur Unsplash

Cette nouvelle étude fournit au contraire des résultats en faveur du concept appelé « tunnelisation positive » : un stress ciblé vers un enjeu spécifique canalise l’attention et améliore temporairement la performance mentale.

Les chercheurs ont interrogé 1503 étudiants de l’Université d’Aix-Marseille à travers un questionnaire en ligne pendant la crise sanitaire liée au COVID-19. Ils les ont divisés de manière aléatoire en deux groupes : l’un exposé à des articles traitant de sujets stressants comme l’impact des restrictions sanitaires ou le chômage des jeunes, et l’autre confronté à des sujets neutres et non stressants, comme l’exploration spatiale. Pour étudier le rôle de la récompense, les étudiants étaient rémunérés selon leurs performances, soit pour chaque bonne réponse, soit pour l’obtention d’un seuil de performance.

Les chercheurs ont évalué leurs capacités cognitives à travers des exercices de réflexion et de logique, notamment les matrices de Raven. Ils ont comparé les scores obtenus par les étudiants des différents groupes pour mesurer l’effet du stress sur leur performance. Les résultats montrent que le stress n’induit aucun effet négatif. 

Lorsque les participants sont motivés par une récompense financière en atteignant un certain seuil, leurs performances s’améliorent, mais seulement lorsque le sujet traité concerne le marché du travail. Concrètement, ceux qui lisaient un article sur les difficultés d’insertion des jeunes diplômés obtenaient de meilleurs résultats aux tests cognitifs que ceux exposés à des sujets neutres ou liés à la santé mentale. Ces étudiants sont également plus susceptibles de payer pour une session de coaching individuel ciblé sur le marché de l’emploi. L’introduction d’un objectif clair permet donc aux individus de concentrer leurs efforts sur des tâches associées à des enjeux perçus comme importants, mais surmontables. Les préoccupations liées au monde du travail, aussi stressantes qu’elles soient, sont perçues comme des défis surmontables : en redoublant d’efforts ou en se préparant mieux, on peut toujours agir sur son avenir professionnel. En revanche, les sujets sur la détérioration de la santé mentale n’ont pas entraîné de tels effets, sans doute parce qu’ils évoquent une réalité subie, sur laquelle les individus ont moins prise.

Nous ne sommes pas égaux face au stress

Le stress renforce aussi les inégalités en amplifiant les écarts de performance selon le profil socio-économique. Les étudiants issus de milieux plus favorisés ont mieux réagi au stress tandis que ceux dans des situations plus précaires ont subi des effets cognitifs négatifs dus à une anxiété accrue. Cela met en lumière les mécanismes d’inégalités en lien avec le stress économique et enrichit les connaissances sur la psychologie de la pauvreté et la gestion des incitations en contexte de précarité. Le stress représente un risque supplémentaire pour des populations déjà vulnérables à une santé mentale dégradée. Des études antérieures2ont montré que les travailleurs aux emplois moins qualifiés ressentaient des niveaux de bien-être mental plus faibles. Les conditions de travail et la qualité de l’emploi jouent en outre un rôle important dans les différences de santé mentale entre les classes sociales. 

 

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    De Moortel, D., Vandenheede, H., Muntaner, C., & Vanroelen, C. (2014). Structural and intermediary determinants of social inequalities in the mental well-being of European workers: a relational approach. BMC Public Health, 14(1), 938.

Jeune homme à l'arrière plan affichant une mine triste alors que des figures flous passent devant lui en l'ignorant

Photo par Siphosethu Fanti/peopleimages.com sur Adobe Stock

Des mécanismes peuvent toutefois gommer ces inégalités et permettre à toutes et tous d’accroître leurs capacités cognitives, comme les bourses universitaires. Des travaux précédents3 montrent en effet que les étudiants en situation de précarité, soutenus par des bourses universitaires, sont moins affectés par le stress financier et réussissent mieux dans leurs études. Les bourses ne sont pas seulement une aide financière, mais aussi un moyen de créer un sentiment de sécurité, d’appartenance, et de motivation, permettant aux étudiants de surmonter les pressions économiques et d’améliorer leur performance académique. Dans l’étude, les étudiants non boursiers sont davantage affectés par le stress. Cela souligne l’importance de voir émerger dans les environnements universitaires des initiatives de prise en charge de la santé mentale et de gestion du stress des étudiants.

  • 3

    Reed, R. J., & Hurd, B. (2014). A value beyond money? Assessing the impact of equity scholarships: from access to success. Studies in Higher Education, 41(7), 1236–1250.

Références

Demont, T., Horta-Sáenz, D., Raiber, E., 2024, "Exposure to worrisome topics can increase cognitive performance when incentivized by a performance goal". Scientific Reports, 14(1), 1204.

Mots clés

Santé

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