Santé et environnement

Le savoir, une autre voie pour la protection de la nature

Photo par MRSOMPHOT sur Adobe Stock

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À quel point fréquenter un habitat naturel modifie l’importance que nous lui accordons ? En particulier si cette fréquentation s’accompagne d’une progression de la connaissance académique et familière de ces milieux ? Pour y répondre, les chercheurs M. Maki Sy, H. Rey-Valette, C. Figuières, M. Simier et R. de Wit s’intéressent au chapelet des étangs palavasiens près de Montpellier. Leur conclusion est sans équivoque : dans la majorité des cas la familiarité avec le site change les préférences du citoyen. La connaissance scientifique aussi, mais d’une manière différente.

Par Charles Figuières

Charles Figuières

Auteur scientifique, Aix-Marseille Université, Faculté d'économie et de gestion, AMSE

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Alexandre Lopez

Alexandre Lopez

Journaliste scientifique

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Hélène Rey-Valette

Hélène Rey-Valette

Auteur scientifique, CEE-M

Est-ce que la connaissance scientifique sur un milieu naturel change l’importance que nous lui attribuons ? De même, est-ce que fréquenter assidument un écosystème modifie la perception que nous avons de ses bienfaits ? Des questions clés alors que les politiques publiques de conservation s’intéressent de plus en plus aux représentations des milieux naturels par les citoyens et renforcent les mesures de sensibilisation ou d’information à travers différents courants comme la communication engageante ou le nudge.

Autour de la ville de Palavas-les-Flots, sept étangs dessinent un paysage singulier. Séparés de la mer par un faible cordon de terre, ils offrent un habitat naturel pour de nombreuses espèces. Apprécié par les amateurs de nature, ce lieu fournit des bienfaits naturels directs et indirects pour l’homme. Ces services dits écosystémiques vont de la protection contre les inondations aux usages récréatifs en passant par l’approvisionnement en nourriture, principalement l'élevage sur pré-salé et la pêche.

La surfréquentation et des aménagements successifs menacent néanmoins cet espace de 3 880 ha. Face à ces risques, quels services écosystémiques faudrait-il protéger en priorité ? Une équipe de chercheurs, travaillant main dans la main avec les responsables du site, ont évalué le rôle de la fréquentation et de la connaissance académiques du lieu sur l’importance perçue de chaque service écosystémique, l’hypothèse étant qu’une plus grande perception de l’importance d’un service favorise des comportements pro-environnementaux vis-à-vis de ce service.

Lagon grec de Palavas les Flots avec des flamands roses

Photo par Picturereflex sur Adobe Stock

L’information change les perceptions dans plus de la moitié des cas

Un ensemble de 442 personnes a été interrogé en distinguant deux sous-populations : les habitants de la zone étudiée et un panel de citoyens au niveau national qui n’habitent pas près d’une côte. Il s’agissait à partir d’un même questionnaire de tester l’influence de la fréquentation et de la familiarité. A chacun des 20 services écosystémiques rendus par les écosystèmes lagunaires les enquêtés devaient attribuer une priorité de conservation au moyen des mentions suivantes : « primordial », « prioritaire », « neutre », « de faible priorité » et « non prioritaire ».

Pour étudier le rôle de l’information académique, les riverains ont participé à des ateliers et visites de terrains durant lesquels les principales connaissances académiques des processus liés à chaque service leur ont été présentées. Ainsi, globalement la population étudiée comprend des personnes disposant de différents niveaux de connaissance du site (les non-familiers et les familiers avec ou sans connaissances académiques). Les classements individuels ont été agrégés selon la méthode du Jugement Majoritaire. C’est par rapport à ce niveau agrégé d’appréciation des priorités que l’impact de la connaissance — familiarité et/ou science — a été appréhendé. Le résultat montre que la connaissance affecte l’appréciation de 11 services sur les 20 étudiés. Et au-delà de ce message simple, on obtient des éléments de réponse à deux grandes questions. Comment les citoyens classent-ils ces services écosystémiques et pourquoi les citoyens révisent-ils certaines priorités après acquisition de la connaissance ? 

Principes du Jugement Majoritaire

Depuis toujours les modalités d’agrégation et de hiérarchisation des préférences ont fait l’objet de nombreux débats en vue de proposer des processus représentatifs et démocratiques. Les premières analyses formelles des modalités de vote remontent au moins au XVIIIe siècle avec les penseurs des Lumières. Jean-Charles de Borda (1770) soutient une méthode consistant à noter tous les éléments d’un choix plutôt qu’à se prononcer sur un seul au sein de ces éléments. Avec le mode de scrutin appelé Jugement Majoritaire (Balinski et Laraki, 2007), les citoyens ne jugent pas les options avec des notes, mais avec des appréciations qualitatives, ou mentions, comme par exemple Excellent, Très bon, Bon, Moyen, Médiocre, Insuffisant, A rejeter. Ensuite, pour chaque option on calcule la médiane de la distribution des mentions qu’elle a obtenues (la mention dite majoritaire). Enfin, l’option gagnante est celle qui a obtenu la meilleure mention majoritaire…

Quels sont les neuf services qui ne semblent pas impactés par l’apport d’information ? Ils incluent l’ensemble des cinq services de régulation et de maintenance (purification de l’eau par rapport aux polluants, protection contre les inondations ou l’érosion), un des trois services d’approvisionnement (la pêche) et trois des douze services culturels (loisir, comme la marche et la randonnée, et les opportunités offertes par ces lagunes pour la recherche et l’éducation environnementale). Tous sont jugés « prioritaires », sauf les services liés à la pêche qui obtiennent une priorité au mieux « neutre ». Une explication pour cette indépendance par rapport à la connaissance scientifique tiendrait à l’existence d’une sensibilité forte à la conservation de la biodiversité pour le citoyen, pour partie liée aux nombreuses campagnes de sensibilisation et au fait que, pour ces processus complexes, les citoyens s’en remettent dès le départ et une fois pour toutes aux experts. En effet il est connu que ceux-ci interpellent de façon unanime les décideurs sur la nécessité de protéger la biodiversité.

Pour les riverains, la contemplation plutôt que le patrimoine

En revanche l’importance des onze autres services est fortement liée au niveau d’information et on peut distinguer trois familles. La première, que l’on pourrait appeler « loisir contemplatif », comprend notamment la valeur esthétique des habitats et des espèces ainsi que le sentiment de relaxation. La seconde qualifiée « d’activité de consommation » regroupe l’aquaculture, les sports d’eau ou la pêche amateur. Et pour finir, la sous-catégorie « héritage » fait référence à la valeur patrimoniale et historique de ces lagunes.

L’analyse nous apprend que le citoyen qui n’a jamais visité ces lagunes est davantage sensible aux services d’héritage, tandis que le riverain fait clairement prévaloir le loisir contemplatif et les activités de consommation. Néanmoins cet effet de la familiarité est atténué lorsqu’il reçoit une information académique.

Homme seul sur une dune

Photo par Alex Alvarado sur Unplash

Comment les citoyens choisissent-ils ?

Ainsi la familiarité s’accompagnerait d’une logique de comportement « hédoniste », de recherche d’un plaisir individuel. Et ce n’est qu’après les sessions d’informations académiques que les motivations s’alignent sur des considérations plus larges, des avantages collectifs, intergénérationnels.

D’une certaine façon, ces résultats soulignent l’intérêt du concept de « voile d’ignorance » développé par le philosophe américain John Rawls1. En effet on peut considérer que les non-familiers des environs de Palavas-les-Flots choisissent nécessairement derrière ce voile d’ignorance et, donc, seraient plus sensibles à des services d’intérêt général.

  • 1Pour ce philosophe du XXe siècle, les personnes chargées de juger des options politiques à mettre en œuvre devraient être placées derrière un voile d’ignorance afin de « nettoyer » leurs préférences de dimensions non pertinentes sur le plan éthique, comme peuvent l’être leurs intérêts particuliers.

Implications pour les politiques publiques

Sur la base de ces observations, impliquer des non-locaux dans les consultations pour les politiques publiques favoriserait des mesures d’intérêt plus universel. Mais plus fondamentalement, se pose la question de savoir comment les citoyens accèdent à l’information sur les services offerts par les milieux naturels de façon à élaborer et mettre en œuvre des instruments de politique publique adéquats. C’est tout un programme de recherche que les auteurs de cette note poursuivent, de façon à identifier les types et les formes d’information les plus propices pour les inciter à adopter des comportements écologiques et éthiques basés sur la conviction et l’adhésion plutôt que sur la coercition. C’est une position revendiquée par les auteurs de l’étude, à l’opposé de considérations paternalistes qui donnent un rôle prépondérant aux experts dans la mise en place des politiques environnementales.

Références

Sy M., Rey-Valette H., Figuières C., Simier M., De Wit R., 2021, «The impact of academic information supply and familiarity on preferences for ecosystem services», Ecological Economics, 183, 59-69

Mots clés

écologie

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