Santé et environnement
En Zambie, les croyances traditionnelles accentuent les risques liés à la grossesse
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Dans ce pays d’Afrique australe, les complications liées à la grossesse sont parfois mal soignées et l’accès à la contraception reste complexe. Au-delà des difficultés d’accès aux soins, les croyances traditionnelles poussent certaines femmes enceintes à masquer leurs maux. Ce silence ne fait qu’accentuer un taux déjà élevé de mortalité maternelle.
En Zambie, en 2013-2014, 398 femmes meurent pour 100 000 naissances1 contre 8 en France2. Pour soulager ce triste record, l’État zambien a mis en place des services de santé proposant des méthodes de contraception et un suivi médical. Même s’ils ne couvrent encore pas tout le territoire, l’accès aux soins est aussi empêché par les pratiques et les croyances de la population.
Le rapport de santé démographique zambien rapporte que 41 % des naissances, entre 2002 et 2007, n’ont pas été voulues. Mais dans le calcul de ce taux, ce sont les femmes zambiennes qui font pencher la balance. Elles sont les premières à vouloir réduire le nombre de naissances. Et pour cause, le taux de fertilité est déjà élevé : de l’ordre de 5,58 en 20183, il fait de la Zambie le 8e pays dans le classement mondial. Les grossesses à répétition peuvent être difficiles à supporter, tant physiquement que psychiquement. Ce sont les femmes qui doivent subir les inconvénients et les coûts liés au fait d’enfanter. Cela peut expliquer l’écart entre les deux sexes vis-à-vis du nombre d’enfants. Dans ce pays, les hommes souhaitent en général « 0,8 » enfant de plus que les femmes.
Mais en Zambie, le ventre des femmes leur appartient-il ? Pas toujours. Dans les zones rurales, les services de santé n’autorisent encore pas la contraception aux femmes qui n’ont pas le consentement explicite de leur mari4. Et dans les zones urbaines, l’homme continue d’exercer une pression sur les choix de sa compagne. Nava Ashraf, Erica Field et Jean Lee5 ont ainsi remarqué que les femmes privilégient les méthodes contraceptives qui sont facilement dissimulables de leur mari. Ils ont mis en place un projet visant à proposer des « bons » d’accès gratuit et simplifié aux moyens contraceptifs. L’objectif était de repérer les facteurs qui expliquent le non-recours à de telles méthodes.
- 1Selon l’OMS (DSH) : USAID, 2017, "Comparisons of DHS Estimates of Fertility and Mortality with Other Estimates", DHS Methodological Reports No. 21
- 2Selon la Banque Mondiale, en 2015, dans les pays développés, le risque de décès maternel est de 1 sur 4900 contre 1 sur 180 dans les pays en développement. C’est à dire la probabilité qu’une jeune femme décédera un jour d’une cause liée à la grossesse ou à l’accouchement
- 3CIA, 2018, "The CIA World Factbook 2018-2019", Skyhorse
- 4Ashraf N., Field E., Lee J, 2014, "Household Bargaining and Excess Fertility: An Experimental Study in Zambia", American Economic Review, 104(7), 2210–2237
- 5Ibidem
Photo by Clayton Smith on Flickr
Obligées de se cacher ?
Afin de questionner le poids des hommes dans ce choix, l’offre est proposée de deux manières aux femmes en couple. Dans un premier groupe interrogé, l’homme est convié dans le processus, dans l’autre, la femme est seule à se voir proposer le bon. Lorsque leur mari est présent, elles sont 19 % de moins à accepter l’aide du planning familial. Par conséquent, elles sont 27 % de plus à donner naissance dans l’année qui suit. Comme si l’homme disposait d’un veto sur l’utilisation de la contraception.
Beaucoup de recherches y ont fait référence : dans certains pays d’Afrique, les femmes préfèrent utiliser des méthodes de contraception qui ne se voient pas. Elles peuvent ainsi le cacher à leur mari plus facilement. Dans l’expérience des chercheurs, les femmes qui sont seules lorsqu’on leur propose une contraception sont 25 % plus nombreuses à accepter l’injection. Cette forme de contraception permet d’introduire, dans le muscle du bras, une dose d’hormone suffisante qui dure dans le temps (environ 12 semaines). Une méthode parfaite pour être à l’abri des regards…
Un risque décuplé pour la santé maternelle
Les stratégies féminines d’accès à la contraception sont la preuve d’une différence en termes de préférences quant à la fertilité. C’est aussi le témoignage d’un contrôle des hommes sur le corps des femmes. Les conséquences sont dramatiques pour elles. Le risque maternel et la morbidité s’accroissent à mesure que les grossesses se multiplient. Il a été prouvé qu’à partir de quatre grossesses, les complications sont plus fréquentes. De même, si les femmes tombent enceintes trop rapidement après avoir accouché, elles encourent de forts risques pour leur santé. Enfin, si elles sont trop âgées, là encore, de plus grandes précautions sont nécessaires.
Toutefois, ces risques maternels et la mortalité qui y est associée sont fortement minimisés par la population locale, et même par les femmes. Au sein des Zambiens, il existe encore une forte méconnaissance des enjeux relatifs à la santé maternelle. Les croyances qui entourent la grossesse en sont pour beaucoup. Les économistes Nava Ashraf, Erica Field, Alessandra Voena et Roberta Ziparo sont allées en Zambie et ont étudié 515 couples afin d’expliquer pourquoi une part importante des services de santé maternelle sont négligés par les habitants.
A healthy mother and child at a Zambian health care center. Photo Credit - UNICEF Zambia
L’infidélité : la mère de tous les maux ?
Le risque de mortalité maternelle et de complication lors de la grossesse est largement sous-estimé, parce qu’à côté des connaissances en matière de santé, de nombreuses croyances, mythes ou rites entourent les mères et leur future progéniture. Pour beaucoup de Zambiens, l’infidélité explique les problèmes que peut rencontrer une femme lors de sa grossesse. Si le bébé n’arrive pas à son terme ou si la vie de la mère est en danger, l’entourage interprète ces évènements comme la preuve d’une infidélité de la part d’un des membres du couple. Lorsqu’on demande aux individus étudiés quelle est la cause principale des complications, un tiers répondent du tac au tac « l’infidélité ». Une croyance encore plus marquée pour les hommes qui sont 56 % contre 44 % pour les femmes. Et cette croyance est acceptée pour l’ensemble des personnes interrogées.
Dans l’étude, les auteurs donnent 30 jetons aux individus qui participent à l’enquête. Ils leur demandent d’assigner un certain nombre de jetons à chaque cause pouvant expliquer les complications de grossesse, en fonction de son importance. Le graphe ci-dessous montre le nombre de jetons qui est présenté pour la cause « infidélité » et le pourcentage de personnes associées. Ainsi, près de 50 % des femmes présentent entre 6 et 10 jetons.
Lorsqu’une femme a des problèmes lors de la grossesse, elle est invitée à se confesser à propos de ces rapports extra-conjugaux. Selon les croyances locales, c’est l’unique façon d’atténuer les problèmes voire d’éviter de mourir à l’accouchement. Dans un tel contexte de suspicion, même si elle a conscience que les complications peuvent être dangereuses, la femme enceinte préfère les dissimuler afin de ne pas être accusée par son entourage. Cela accroît davantage le risque de morbidité. L’infidélité est une croyance qui est difficilement contredite dans la mesure où il est difficile de la vérifier aisément et donc de faire la part des choses entre les croyances traditionnelles et les connaissances médicales.
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Des croyances bien ancrées
Est-ce que le vécu permet de remettre en question cette conviction ? Est-ce que les femmes qui ont déjà connu des difficultés lors d’une grossesse précédente revoient à la baisse le poids accordé à la tradition ? En général, les femmes qui ont déjà eu des difficultés sont 12 % plus nombreuses à anticiper des risques pour leur future grossesse. Mais, celles qui croient en l’influence de l’infidélité ne modifient pas leur perception, même après avoir eu des complications. Les traditions restent bien ancrées et ne sont pas remises en cause par l’apprentissage que pourrait engendrer l’expérience. Les femmes continuent de penser — ou du moins agissent dans ce sens — qu’elles peuvent sous-estimer les risques maternels et éviter le suivi maternel qui en découle, sans conséquence pour leur santé.
Les restrictions dans l’accès à la contraception et les croyances traditionnelles sont des barrières considérables à l’adoption de bonnes pratiques pour réduire la mortalité maternelle. Aussi, la mise en place de service de santé reproductive par le gouvernement n’est pas suffisante pour que les populations acceptent et s’accommodent directement à la médecine moderne. C’est pourquoi les auteures montrent que des mesures éducatives doivent accompagner les offres de soin afin de diffuser les connaissances. Ces campagnes d’information doivent cibler les hommes et les femmes afin que celles-ci puissent enfin avoir le contrôle de leur corps.