Monde
Conjuguer croissance économique et inclusion ethnique en Afrique
Photo by Tim McKulka on UN Photo (2011, Soudan) : First Day of Voting in Southern Sudan Referendum.
Avec plus de 2000 groupes ethniques recensés sur le continent africain, la diversité culturelle rencontre souvent la fragmentation politique et les difficultés de développement sur le territoire. L’inclusion ethnique est-elle toujours un gage de croissance économique ? En étudiant 41 États africains, les économistes Pecher et Gaspard montrent qu’elle est positive pour le PIB lorsqu’elle est accompagnée d’institutions stables et démocratiques.
Au Rwanda, le génocide des Tutsis orchestré par le gouvernement Hutus en 1994 est l’un des massacres les plus tristement célèbre d’Afrique. Alors que les colons avaient facilité l’éviction politique des Hutus au profit des Tutsis durant la première période de colonisation, la situation se renverse à l’aube de l’indépendance. Les Hutus majoritaires prennent le pouvoir et, pour évincer les Tutsis, organisent une véritable extermination ethnique qui tua plus de 800 000 personnes, majoritairement Tutsis, selon l’ONU. Pour gouverner, la lutte pour le pouvoir s’est alignée sur la division ethnique. Cette situation n’est malheureusement pas spécifique au Rwanda. Aujourd’hui encore, certains conflits jouent des différences ethniques et réaffirment d’autant plus ces lignes de démarcation.
La solution se trouverait-elle dans la participation des différents groupes ethniques au pouvoir ? Inclure et reconnaitre la diversité ethnique semble être une solution équitable. Toutefois, certaines conditions sont requises pour que cette inclusion soit efficace, notamment d’un point de vue économique.
Le continent africain compterait plus de 2000 groupes ethniques1. Si la multiplicité des langues et des groupes ethniques est une source de divisions, ne pourrait-elle pas aussi être une richesse pour les États africains ? La diversité ethnique est toutefois spécifique à chaque cas national et elle est gérée de façon hétérogène.
- 1Stephen Smith et Claire Levasseur, Atlas de l'Afrique, Paris, Autrement, 2005, p. 17
La participation politique des divers groupes ethniques est un indicateur des inégalités dans le pays, mais pas que ! Le degré d’inclusion des différents groupes au pouvoir influence le développement économique des États. En étudiant 41 pays de la zone subsaharienne depuis leur indépendance jusqu’en 1999, les économistes Pecher et Gaspard montrent comment l’inclusion des groupes ethniques affecte la croissance de diverses manières en fonction du degré de démocratisation de l’État en question.
Jeux de pouvoir et instabilité
Répondre à cette question implique de poser un cadre méthodologique permettant d’étudier la diversité ethnique. Cela ne va pas de soi, car la définition de ce qu’est une ethnie est sujette à controverse. De plus, les alliances et conflits et la proportion de chaque groupe ethnique dans la population sont spécifiques à chaque contexte national. Par exemple, les Chewa et les Tumbuka sont minoritaires et alliés en Zambie tandis qu’au Malawi, pays voisin, ils sont adversaires et majoritaires au sein de la population. Dans leur étude, les auteurs ont utilisé des méthodes innovantes par rapport à la littérature dans ce contexte. Dans les mesures conventionnelles, deux méthodes sont généralement utilisées. La première s’intéresse au partage du pouvoir entre les groupes ethniques et la seconde étudie la diversité, en prenant en compte la taille démographique et le nombre des groupes. Mais ces mesures ne prennent pas en compte le caractère instable de ces coalitions.
Les auteurs ont donc mis au point une méthode permettant d’étudier les variations de la participation politique et la diversité ethnique d’année en année. Ils prennent en compte le nombre de groupes ethniques faisant partie des coalitions gouvernementales, tout en considérant ces groupes comme issus de processus historiques et politiques pouvant changer au cours du temps, et non pas comme des entités fixes. Cela permet d’enregistrer l’impact des nouveaux événements, dans des contextes d’instabilités. Ainsi les coups d’Etat, le partage de pouvoir entre de nouveaux groupes ethniques ou encore la démocratisation des institutions peuvent être pris en compte.
Photo by Catianne Tijerina on UN Photo (2015), République Centre Africaine : Forum National de Bangui
Quelles relations entre inclusion ethnique et croissance ?
Beaucoup de pays africains ne disposent pas d’institutions fortes permettant de faire respecter un juste partage du pouvoir et une redistribution des richesses équitables entre les différents segments de la population. L’inclusion ethnique est importante à la démocratie, mais a-t-elle aussi un impact sur la croissance ?
Pour les auteurs, l’inclusion a un impact mitigé sur la croissance. Elle génère certes un phénomène positif puisqu’en partageant le pouvoir avec plusieurs groupes ethniques, les ressources communes sont distribuées au sein de la population. L’inclusion permet à l’ensemble de la population de bénéficier des services et infrastructures étatiques. En ayant accès aux systèmes de santé et d’éducation, aux télécommunications ou encore aux transports, les individus participent plus aisément à l’emploi formel et à la production nationale.
Toutefois, l’inclusion peut renforcer les mécanismes de clientélisme et de corruption. Les différents groupes ethniques au pouvoir se livrent alors une bataille pour l’accaparement des ressources étatiques. La gestion des biens communs est rendue difficile par une appropriation collective dérégulée. Plus il y a de groupes au pouvoir, plus le contrôle et la gestion des ressources peuvent être rendus inefficaces. Par conséquent, le dialogue et le partage sont beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre. La compétition pour l’accès aux ressources empêche l’investissement de long terme et la planification étatique.
Photo by Muhammadtaha Ibrahim Ma'aji on Unsplash
La démocratie en préalable
Il ne s’agit pas de favoriser le monopole des ressources, qui est néfaste pour la santé économique entre autres choses. Pour s’intéresser aux effets de l’inclusion sur la croissance, les auteurs ne comparent pas les régimes dictatoriaux aux régimes démocratiques. Ils s’intéressent plutôt aux variations au sein même d’un pays, c’est-à-dire aux phénomènes de transitions institutionnelles pour étudier les conséquences de l’inclusion sur le PIB. Ce faisant, ils ne s’intéressent pas aux inégalités observées au sein de la population, mais à la croissance économique.
L’inclusion des groupes ethniques offre des résultats très contrastés sur la croissance en fonction de la structure des institutions étatiques. Les auteurs s’intéressent aux différences observables pour un même pays, dans une situation de démocratie et dans une situation de régime autoritaire. L’expérience est menée à partir des données du Bénin.
Dans un cas, le pays s’inscrit dans un régime démocratique et il existe quatre groupes ethniques sur son territoire. Selon leurs estimations, si le nombre de groupes inclus au pouvoir passait de 2 à 3, alors l’augmentation du PIB au bout d’un an serait de 1,4% et au terme de dix ans, elle atteindrait 13%! Cette ouverture à la diversité dans les instances dirigeantes est significativement positive pour la croissance économique. Que se passerait-il maintenant dans le cadre d’un régime autoritaire ? En effet, il est possible d’être d’avoir des institutions étatiques faibles (et un régime autocratique) tout en possédant une certaine inclusion ethnique. Dans ce cas, l’impact positif est considérablement réduit. Au bout de dix ans, l’augmentation du PIB engendrée par cette inclusion est seulement de 2%.
Alors qu’on pourrait penser qu’une participation politique ouverte à la diversité ethnique serait toujours un atout pour la croissance économique, le résultat des chercheurs souligne l’importance de prendre en compte le contexte. C’est essentiel pour comprendre dans quel cadre peut s’établir une inclusion réussie. La promotion de la diversité ethnique au sein de la coalition au pouvoir ne peut être bénéfique pour la croissance que si elle est appuyée par des institutions fortes et démocratiques. Au contraire, si les infrastructures étatiques sont faibles et que règne le clientélisme ou l’autoritarisme, la venue d’un nouveau groupe ethnique au pouvoir ne serait pas un atout pour le développement. La gestion économique serait alors rendue beaucoup plus difficile à cause d’un accaparement tous azimuts des ressources naturelles et des biens communs. Pour aller vers plus de croissance grâce à l’inclusion ethnique, la démocratie est un préalable indispensable.