Croissance et crise

Augmenter la compétitivité à tout prix ?

Photo by Chuttersnap on Unsplash

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Quel est le point commun entre les déséquilibres mondiaux, le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) et les tweets de Donald Trump contre la Chine ? La compétitivité ! Notion au cœur des discours politiques depuis la crise de la zone euro en 2010, sa performance est scrutée, son accroissement encensé. Les économistes Lise Patureau et Céline Poilly nous rappellent qu’il est important de prendre en compte l’effet des taux de marge des entreprises dans la mise en œuvre de réformes visant à accroitre la compétitivité. 

Par Céline Poilly

Céline Poilly

Auteur scientifique, Aix-Marseille Université, Faculté d'économie et de gestion, AMSE

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Aurore Basiuk

Aurore Basiuk

Journaliste scientifique

La compétitivité semble être un des grands sujets politiques depuis les années 2010. Il s’agit de la capacité d’un pays à se démarquer vis-à-vis de la concurrence internationale sur un marché. Concrètement, cela se traduit à l’échelle d’un pays, par le fait de vendre plus de produits sur le marché international que les pays concurrents, notamment en proposant des biens à des prix réduits. 

Augmenter la compétitivité est un enjeu national dans la plupart des pays européens. Ainsi, une des causes avancées pour expliquer la crise grecque de 2010 a été un manque de compétitivité, attribué en partie au coût trop élevé du travail.1 Cela ne signifiait pas nécessairement un salaire plus faible des travailleurs grecs, car le coût du travail comprend non seulement le salaire, mais aussi les cotisations associées. La crise économique européenne qui a suivi la crise économique mondiale de 2008 a touché bien d’autres pays que la Grèce et a failli marquer la fin de la zone euro. Cette crise a lancé un grand débat sur le manque de compétitivité de tous les pays européens. En France, c’est à cette époque que le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) a été lancé. Quelles sont les méthodes qui permettraient d’augmenter cette compétitivité ?

  • 1OCDE, October 2012, Addressing the Competitiveness Challenges in Germany and the Euro Area

La dévaluation compétitive #SolutionChinoise ?

Il existe trois grandes solutions pour améliorer la compétitivité économique d’un pays. La première consiste à dévaluer la monnaie du pays, c’est-à-dire à avoir un taux de change bas. En effet, si une monnaie vaut moins cher sur le marché, alors les produits vendus à l’international seront aussi moins chers. C’est précisément ce que le président américain Donald Trump reprochait à la Chine en 2019 :

"La Chine a baissé le prix de sa monnaie de manière historique. C’est ce qu’on appelle de la manipulation de monnaie. Est-ce que vous avez vu ça, la Réserve Fédérale ? C’est une infraction majeure qui affaiblira beaucoup la Chine dans le temps !"

Trump, Donald (@realDonaldTrump), 5 août 2019 2:12 PM, Tweet - Traduction

Donald Trump s’est, par la suite, rétracté. Ces accusations entrent dans le contexte de « guerre commerciale » entre les États-Unis d’Amérique et la Chine qui court depuis 2018 et qui se caractérise par une hausse des tarifs douaniers entre ces deux pays.2 Cependant, la dévaluation de la monnaie est à double tranchant. Si elle permet de vendre des biens moins chers à l’international, elle augmente aussi le prix des importations puisque la monnaie du pays vaut moins comparativement aux autres monnaies.3 C’est une solution pouvant mener à de l’inflation.  

De plus, dans la situation où plusieurs pays partagent une même monnaie, comme c’est le cas dans la zone euro, une telle solution n’est pas réalisable. C’est ce qui a posé problème à la Grèce lors de la crise de 2010 : elle ne pouvait dévaluer sa monnaie qu’à condition de sortir de la zone euro... Heureusement, d’autres solutions existent en économie : la réduction du coût du travail ou le soutien à la création d’entreprises. Cependant, ces deux solutions souffrent souvent d’un problème : elles sont modélisées sans prendre en compte les taux de marge des entreprises. C’est ce qu’étudient les chercheuses en économie, Lise Patureau et Céline Poilly. 

Photo du signe de l'euro.

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Baisser le coût du travail

Quand un bien est vendu sur le marché par une entreprise, il l’est à un certain prix. Ce prix reflète différents coûts comme le coût du travail nécessaire à le fabriquer ou le coût des matières premières. Mais le prix comprend aussi un taux de marge c’est-à-dire ce qu’il reste à l’entreprise une fois qu’elle a déduit le coût de production du bien vendu. Or, ces taux de marge ne sont pas constants. Ils peuvent varier selon si le bien est vendu dans le marché national ou international, s’il y a plus ou moins de concurrence, etc. En prenant en compte les variations de ces taux de marge, les mesures pour augmenter la compétitivité sont à envisager différemment. 

Une des recommandations de la Banque Centrale européenne et du FMI faites à la Grèce en 2010 a été de réduire le coût de son travail. Cela signifie par exemple baisser les taxes que payent les entreprises lorsqu’elles embauchent (les fameuses « cotisations sociales » sur votre fiche de paye et qui se traduisent par une différence parfois importante entre un salaire brut et un salaire net). En France, c’est l’objet du volet compétitivité du CICE qui exonère des entreprises d’une partie de l’impôt sur le travail.4

En théorie, baisser le coût du travail permet de faire baisser les prix des produits des entreprises. Cependant, dans leur modèle, Lise Patureau et Céline Poilly montrent que cet effet de baisse des prix et d’augmentation de la compétitivité est mitigé. En effet, baisser le coût à l’embauche permet aux entreprises d’augmenter leur taux de marge et donc ce qu’on appelle leur pouvoir de marché. En d’autres termes, elles peuvent choisir d’augmenter leur taux de marge plutôt que de baisser le prix des produits. En France par exemple, une analyse de 2016 du CICE montre que le taux de marge des entreprises a augmenté, mais l’effet sur la compétitivité de la France est difficile à appréhender et fait encore l’objet de débats5 (l’effet sur l’emploi laisserait aussi à désirer, le CICE n’ayant pas forcément favorisé la création d’emplois).6

 Si l’amélioration de la compétitivité ne passe pas par la baisse du coût du travail, qu’en est-il des plans voués à faciliter la création d’entreprises ?

Photo d'un jeune cadre dynamique

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La Startup Nation

Entre les discours du président Emmanuel Macron sur la « Startup Nation » et les plans pour faciliter la création d’entreprise dans le pays, il s’agit d’une solution bien appliquée en France. Mais en quoi consiste-t-elle ? 

En économie, on appelle le fait de faciliter la création d’entreprises une « réduction des barrières à l’entrée » (comprendre l’entrée sur le marché). Concrètement il s’agit de diminuer les barrières administratives nécessaires à la création d’une entreprise (bonne nouvelle, vous n’aurez plus à remplir le laissez-passer A-38 pour créer votre boite !7).  En ayant plus d’entreprises sur le marché, la concurrence augmente. S’il y a plus de concurrence, le pouvoir de marché des entreprises baisse et elles doivent diminuer leur taux de marge. Leur taux de marge diminue d’autant plus sur le marché extérieur, car le prix d’un produit exporté comprend aussi des frais de port (à options et qualités égales, une voiture japonaise vendue en France a des chances de coûter plus cher qu’une voiture française à cause des frais de port). 

La compétitivité du pays peut donc augmenter si l’État favorise la création d’entreprises et si l’effet n’est pas atténué par une hausse du taux de marge des entreprises. Cette solution semble donc la meilleure d’un point de vue théorique (d’un point de vue pratique, beaucoup d’autres facteurs rentrent en compte et les effets sont plus difficiles à évaluer). En attendant, avec plus de 600 000 entreprises créées en France au cours des 20 dernières années, espérons voir notre compétitivité nationale s’envoler.8

Références

Patureau L., Poilly C., 2019, "Reforms and the real exchange rate: The role of pricing-to-market," Journal of International Economics, 119(C), 150-168.

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